Non, Enea Bastianini n’a pas volontairement laissé Francesco Bagnaia remporter le Grand Prix de Saint-Marin. Les doutes émis par certains internautes nous donnent l’occasion de démontrer, en plusieurs points appuyés par des données, que Pecco a gagné sans que personne ne lui fasse de cadeau. ✪ Contenu Premium. (GP-Inside n’existerait pas sans ses abonnés. Version 100 % sans pub, intégralité du contenu, concours… Soutenez notre travail, rejoignez les membres Premium !)
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Une question hante les réseaux sociaux après le Grand Prix de Saint-Marin : Enea Bastianini a-t-il laissé gagner Francesco Bagnaia à Misano, parce qu’ils sont tous deux pilotes Ducati et que le second cité est mieux placé dans la course au titre ? La réponse est non.
Arrivé deuxième, le pilote Gresini a assuré en conférence de presse qu’aucune consigne d’équipe allant en ce sens ne lui avait été donnée, et qu’il ne s’était pas freiné en raison de l’identité du pilote devant lui. D’aucuns, qui espéraient voir une attaque dans les derniers kilomètres du Grand Prix, estiment qu’il n’a pas voulu disputer la victoire au représentant du Ducati Lenovo Team. Bestia a pourtant bien essayé de gagner, et ne s’en serait pas privé. Plusieurs éléments permettent de le démontrer.
1. La vitesse
Enea Bastianini signe son meilleur temps – et le nouveau record du tour en course – dans son 27ème et dernier tour. Il descend en 1’31.868, et ce malgré une erreur au virage 4 qui lui a fait perdre plus de 2 dixièmes. Sans cela, la montre aurait pu afficher 1’31.6, soit un temps de qualification.
Autrement dit, il était à la limite à peu près partout. Pas le genre de chrono que l’on boucle quand on veut laisser gagner son adversaire. Si telle avait été la volonté de Bestia, il serait sagement resté en petit 1’32, comme il l’a fait lors de la majeure partie de la course. Personne n’y aurait rien vu, et il aurait assuré son résultat sans prendre trop de risques.
Pourquoi, en étant aussi rapide, n’a-t-il pas naturellement passé Francesco Bagnaia ? Parce que ce-dernier a aussi été tonitruant dans sa dernière boucle, terminée en 1’31.935. Le quatrième tour le plus rapide de toute la course, tous pilotes confondus, à 67 millièmes du record d’Enea Bastianini, et à seulement 0,002 de son record personnel. Autrement dit, les deux hommes ont terminé à une allure stratosphérique.
2. L’écart infime
Au passage du drapeau à damiers, il a manqué 34 millièmes à Enea Bastianini pour signer sa quatrième victoire de l’année. Un écart de 0,034 ne peut pas se calculer ou se prévoir sur la moto. Quand on finit aussi proche, c’est qu’on a essayé de gagner, mais que ça n’a pas fonctionné. Tout simplement.
Si son souhait était de céder la première place à Francesco Bagnaia, le pilote Gresini serait ressorti un peu moins fort du dernier virage, ou aurait lâché quelques dixièmes. Au lieu de cela, il a poussé comme un diable après son erreur au virage 4 pour tenter de revenir.
3. Les stratégies
Le duel au sommet entre les deux italiens était attendu de tous, et certains se sont montrés surpris de ne pas voir Enea Bastianini tenter quelque chose plus tôt. Le vainqueur des Grands Prix du Qatar, des Amériques et de France avait un plan en tête. « Au début je pensais l’attaquer dans l’avant-dernier tour, puis j’ai pensé que le faire dans le dernier était mieux. Je ne voulais pas qu’il me voit venir. » Mais saffaires se sont compliquées quand, au virage 4 du dernier, un freinage trop tardif lui a fait perdre du temps. Il lui a ensuite fallu recoller aux basques de Francesco Bagnaia.
S’est-il retenu dans le dernier virage ? Peut-être. Mais pas parce qu’il s’agissait de Pecco : parce qu’il ne voulait pas non plus chuter lui, en plus de le flanquer par terre. « Dans le dernier virage j’ai préféré ne pas prendre de risques. J’étais indécis, j’aurais chuté, alors j’ai misé sur l’accélération. » Doubler dans le dernier virage du circuit de Misano n’est pas chose aisée, et il n’est pas rare d’y voir des chutes se produire. Pol Espargaro peut en témoigner, lui qui s’y est fait percuter par Andrea Iannone en 2009.
Et si Francesco Bagnaia ne donnait pas l’impression de fermer les portes, ce n’est pas non plus parce qu’il savait qu’il ne serait pas attaqué. Le champion du monde Moto2 2018 a expliqué que sa stratégie avait été de ne pas resserrer ses trajectoires, et de seulement penser à aller le plus vite possible. Plutôt le mode qualification que le mode défense. Cela a permis d’user Maverick Viñales, puis de contenir Enea Bastianini, car la vitesse de passage était trop élevée pour essayer quoi que ce soit. Une stratégie d’autant plus efficace qu’à Misano, il n’est pas évident de dépasser.
Et maintenant ?
En arrivant au Grand Prix de Saint-Marin, Johann Zarco a résumé ce que Ducati a dit à ses pilotes au sujet des consignes d’équipe et de l’avantage à laisser, ou pas, à Francesco Bagnaia : « Dall’Igna nous a dit que si on peut gagner, qu’on ne s’en prive pas, mais qu’il faut être intelligent. Dans le cas où on se battrait avec Pecco pour finir cinquième ou sixième, hors du podium, il faut être intelligent et lui laisser l’opportunité de marquer plus de points. Si on est en position de gagner on peut, car il sait à quel point c’est important et ne veut pas nous priver de cette sensation. »
Enea Bastianini a appliqué cela à la lettre. Il s’agissait d’une bagarre pour la victoire, donc il n’a pas laissé le leader des Rouges l’emporter sans l’embêter. « Pour moi c’est important d’aider Pecco à gagner le titre, mais aussi de gagner des courses. Nous devons faire le maximum et je pense que cette bagarre arrivera probablement dimanche, prévenait-il à trois jours de la course, à côté de Johann Zarco, car tous les pilotes Ducati sont très compétitifs ici, ainsi que les pilotes italiens. Nous sommes là pour gagner des courses et si je peux le faire… »
Le quasi-accrochage entre les deux hommes, au virage 4 du dernier tour, aurait fait grincer des dents le patron de Ducati, Claudio Domenicali. Quelques centimètres de plus, et la firme italienne aurait perdu très gros dans la course au titre. Ce qui pourrait amener à de nouvelles discussions à Borgo Panigale. « Ce n’est pas facile. C’est toujours très difficile, mais c’est clair que nous allons essayer de clarifier qu’il est important pour Ducati de remporter le championnat des pilotes, gagné une fois en 2007 avec Casey (Stoner). Donc nous ne voulons pas voir de folies, de risques qui ne soient pas nécessaires », a fait savoir le directeur sportif, Paolo Ciabatti, après l’arrivée.
Doit-on comprendre que l’on se dirige vers des consignes d’équipe ? Francesco Bagnaia n’en veut pas et pense que cela n’a « pas de sens à ce moment-là du championnat ». À six courses du terme, l’Italien est revenu à 30 points de Fabio Quartararo, alors que 150 restent à distribuer. Pointé à 73 longueurs du leader français, Enea Bastianini est aussi encore mathématiquement dans le coup. Il faudra peut-être attendre que ce ne soit plus le cas pour qu’il lui soit demandé de laisser Pecco devant.
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