Dans le milieu des Grand Prix, tout le monde connaît et respecte Guy Coulon. Co-fondateur de Tech3 en 1989, il a dédié sa vie à la moto et à la course au plus haut niveau, et a amené, entre autres, Olivier Jacque au titre mondial 250 ou Miguel Oliveira sur la plus haute marche du podium en Moto GP. Aujourd’hui, il devrait être à la retraite mais il ne s’arrête jamais, et trouve même le temps de répondre à nos questions !
GP-Inside : Comment as-tu vécu la victoire de Miguel Oliveira en Indonésie, lui qui a été ton pilote pendant deux saisons en 2019 et 2020 ?
Guy Coulon : « Avec beaucoup de plaisir et de joie ! J’ai vu qu’il était assez à l’aise en tête et, même si on est toujours un peu inquiet, surtout dans ces conditions mouillées où tu peux vite te faire piéger, je ne me faisais pas trop de souci car c’est le genre de situation qu’il maîtrise bien. C’est un pilote qui va vite tout seul, il prend rarement une roue aux essais et il est très rapide quand la piste est libre devant lui. Et il ne faut pas oublier qu’il commence à avoir de l’expérience, c’est sa quatrième victoire en Moto GP et il est en Grand Prix depuis plus de dix ans ! »
« Miguel est souvent le pilote qui a le moins d’écart entre son temps en qualification et ses chronos en course et, en Indonésie, on a vu qu’il était rapide dès les essais. Il y avait donc des raisons de penser qu’il pouvait faire une belle course. C’était vraiment sympa de le voir gagner parce que c’est une belle personne avec qui on a eu une très bonne relation quand il était chez Tech3. »
Justement, peux-tu décrire Oliveira, l’homme et le pilote ?
G.C : « C’est vraiment un bon gars, toujours sympa, intelligent, qui parle français, anglais, italien, espagnol et évidemment portugais, qui a toujours de bonnes analyses, qui se soucie toujours des autres… C’est d’ailleurs peut-être ce qui l’empêche de ‘débrancher’ parfois, d’avoir ce petit brin d’agressivité qui lui permettrait de faire un truc de fou. Tout ce qu’il fait est réfléchi, raisonné et maîtrisé. Toute sa famille est très agréable, bien élevée et je n’oublie pas qu’il est le seul pilote avec qui j’ai gagné en Moto GP donc j’ai forcément de l’affection pour lui. Tous les membres de Tech3 étaient contents de sa victoire en Indonésie parce qu’il a réussi à faire l’unanimité ici. Par exemple, quand il a gagné au Portugal, il a fait un cadeau à chaque personne de Tech3, même à l’équipe de son coéquipier et même à notre secrétaire qui ne vient jamais sur les courses ! Je connais peu de pilotes d’une telle gentillesse. »
Parle nous aussi de la KTM, qui semble avoir bien progressé cette année.
G.C : « C’est encore le début de la saison, on ne peut pas tirer trop de conclusions mais c’est vrai que le package est bon. En fait, la nouvelle moto est arrivée en 2020 et depuis, elle progresse régulièrement mais la base reste la même. KTM a fait le choix technique d’avoir un 4 cylindres en V, contrairement à Yamaha ou Suzuki qui disposent d’un 4 cylindres en ligne. L’architecture moteur définit la trajectoire en virage, donc on cherche à travailler sur le comportement moteur pour améliorer le passage en courbe. Tu peux essayer plusieurs châssis, ça ne change pas grand chose et c’est sur le moteur qu’il faut apporter des améliorations pour faciliter la façon de tourner. Je ne dirai pas sur quoi on travaille car c’est secret mais je peux dire que tous les constructeurs qui ont un V4 ont le même objectif ! »
« Chez KTM, la configuration du moteur est la même aux essais que celle qui est utilisée en course, alors que d’autres marques optimisent la configuration moteur aux essais mais ne peuvent pas l’appliquer en course à cause de la consommation d’essence. C’est aussi pour cette raison que nos chronos en course sont très proches des temps aux essais. De manière générale, le comportement de notre moto est très sain, la fourche fonctionne bien et on sait que les pilotes ont besoin d’avoir confiance en leur train avant pour être performants. La gestion de la suspension arrière est plus complexe car plusieurs éléments interviennent, l’amortisseur bien sûr mais aussi la flexibilité du bras oscillant, le caractère moteur… Plusieurs paramètres doivent être gérés en même temps mais je pense qu’on a trouvé une bonne configuration. »
« Bien sûr, les bons résultats du team officiel nous confirment que la moto est bonne et nous encouragent pour la suite mais je pense que nos pilotes, Gardner et Fernandez, pourraient être un poil plus rapides. Mais pour l’instant, la consigne qu’on leur donne est de continuer à apprendre le pilotage si exigeant d’une Moto GP et de faire les courses outre-mer en essayant de marquer des points quand c’est possible mais surtout en arrivant en forme pour la tournée européenne qui va être longue et difficile. En gros, c’est pas le moment de se blesser ! »
Quel est ton avis sur les autres pilotes ?
G.C : « On constate que c’est quand même très serré ! Ensuite, on a eu une course sur le sec et une sur le mouillé donc c’est difficile de tirer des enseignements. C’est clair que la Ducati va vraiment très vite mais d’un autre côté, il y en a huit sur la grille donc je pense qu’à un moment, il va y avoir une guerre interne entre les pilotes et ça va être compliqué à gérer, ils risquent de s’auto-éliminer ou de se neutraliser, ce qui peut être une bonne opportunité pour les autres prétendants au titre ! Et Johann Zarco, qui est dans le clan Ducati, doit impérativement rester à l’écart de ces luttes internes et faire ses courses comme il les fait très bien depuis le début. Quant à Fabio Quartararo, il dispose d’une bonne équipe, d’une bonne moto même si elle devrait l’handicaper sur quelques courses, mais il y a beaucoup de circuits qui seront à son avantage et où il devra gagner s’il veut conserver son titre. »
Tu avais fêté ton départ à la retraite en 2020 à Portimao mais tu vas toujours sur tous les GP européens… Tu ne parviens pas à décrocher ?
G.C : « J’avais pris ma retraite de chef-mécanicien mais je suis toujours copropriétaire du team Tech3. Et crois-moi, mon rôle d’observateur me convient très bien ! Je regarde toutes les séances d’essais de toutes les catégories et j’apporte des éléments de réflexion en fonction de ce que j’ai vu… Et c’est peut-être aussi parce que j’ai du mal à m’en passer, même si je suis toujours content d’être ici à l’atelier à Bormes-les-Mimosas où il y a toujours quelque chose à faire. Je ne m’ennuie jamais ! »
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